L'ach`arisme

(2ère partie)



Les Ach`arites :

Aboû el-Hassan el-Ach`arî est dans la continuité des Koullâbites. Il a vécu dans la période entre 260 et 324 de l’hégire, et adhéra au Mou`tazilisme durant quarante ans. Il fut élevé en effet dans la maison de son beau-père Aboû `Alî el-Joubbâ’î, le chef de file des Mou`tazilites à Bassora. Il renonça ensuite à cette secte pour se pencher vers la voie Koullâbite qui l’influença pour une longue période. Il fut probablement séduit par les écrits d’ibn Koullâb à l’encontre des adeptes de son ancienne tendance, et par ses réfutations acerbes qui démasquaient la nature de leur crédo. Ibn Koullâb avait la plume hostile notamment contre les Jahmites et les Mou`tazilites. El-Ach`arî ne s’est toutefois pas rendu compte qu’ibn Koullâb avait ses limites. Reconnaissant les « Attributs Essentiels » (Sifât Dhâtiya) d’Allah, et adversaire acharné des Mou`tazilites, son maître spirituel n’en était pas moins influencé par ces derniers lorsqu’il s’agissait de renier les « Attributs Volontaires » (Sifât Ikhtiyâriya) qui sont liés au Pouvoir et à la Volonté du Très-Haut. C’est pourquoi, ibn Koullâb ne concevait pas à la manière des Mou`tazilites, que le Seigneur puisse parler selon Sa Volonté et Son Pouvoir. Il reniait également d’autres « Attributs Volontaires » comme la Satisfaction, la Colère, la Haine, le Courroux, etc.

Au cours de cette phase, el-Ach`arî était très actif. Il écrivait, faisait des débats, et donnait des cours contre les Mou`tazilites, sous l’impulsion de la voie Koullâbite. Par la suite, il fit la rencontre de Zakariyâ ibn Yahya Sâjî qui lui donna un nouveau tournant dans sa vie. Ce dernier lui fit découvrir les principes que suivaient les traditionalistes [1]. Sâjî était le grand Chaykh et le grand Hâfizh (érudit) de Bassora, mais ses enseignements ne s’arrêtaient pas là. Au cours de son voyage à Bagdad, il se mit en contact avec les Hanbalites de la ville qui lui ont permis de parfaire sa nouvelle initiation [2]. La pensée d’el-Ach`arî s’est arrêté à cette troisième et dernière phase. Cependant, il avait une grande expérience du Kalâm et il accusait certaines lacunes dans le domaine de la Sounna. Cela a eu des conséquences sur sa pensée car il resta imprégné de certains principes Mou`tazilites qui se voulaient contraires à la Tradition prophétique. Il pensait qu’il était possible d’utiliser ces principes pour défendre la Sounna. Ce mariage des idées fut tangible dans des questions telles que la vision du Seigneur le Jour de la Résurrection, Sa Parole, les « Attributs textuels » (Sifât el-Khabariya), [3] etc.

Selon Soujzî, il a en fait abandonné les éléments subsidiaires du Mou`tazilisme mais il en garda les principes tels que la preuve par l’accident, qui consiste en définitive à renier les Attributs divins [4]. Ibn Taymiya nous apprend à ce sujet : « Aboû Mouhammed `Abd-Allah ibn Sa`îd ibn Koullâb el-Basrî et Aboû el-Hassan el-Ach`arî s’opposaient aux Mou`tazilites et rejoignaient les traditionalistes sur l’ensemble de leurs principes. Néanmoins, ils étaient peu versés dans la Sounna et ils concédaient en parallèle aux Mou`tazilites certains principes erronés. C’est pourquoi, il est possible de déceler dans leur discours certaines paroles Mou`tazilites qui vont à l’encontre de la Sounna, bien que dans l’ensemble ils n’adhéraient pas à cette tendance. » [5] Ibn Taymiya souligne dans un autre ouvrage : « les grands Imams traditionalistes reprochaient à ibn Koullâb et à el-Ach`arî d’avoir gardé certains restes du Jahmisme et du Mou`tazilisme comme le fait d’approuver la méthode par l’accident et l’assemblage (ou la composition) des corps. Ils reniaient notamment qu’Allah puisse être l’auteur d’Actes Volontaires qu’Il choisit de faire, etc. » [6]

Les Ach`arites ont connu plusieurs étapes et plusieurs phases dans leur développement. Au début, ils ont cultivé la pensée du Kalâm (d’ibn Koullâb), ils ont ensuite fortement glissée vers l’I`tizâl, pour en fin de parcourt faire un mélange entre leur crédo et la philosophie. Les néo-Ach`arites ont un penchant pour le Jahmisme voir pour la philosophie. En cela, ils se distinguent de la pensée de leur fondateur et des grandes références parmi ses partisans. [7] Les anciens Ach`arites reconnaissaient dans l’ensemble les « Attributs textuels », à l’instar d’Aboû el-Hassan el-Ach`arî, Aboû `Abd-Allah ibn Moujâhid, Aboû el-Hassan el-Bâhilî, el-Qâdî Aboû Bakr el-Bâqallânî, Aboû Ishâq el-Asfarâ’înî, Aboû Bakr ibn Fawrk, Aboû Mouhammed ibn Loubân, Aboû `Ali ibn Châdhân, Aboû el-Qâsim el-Qouchayrî, Aboû Bakr el-Bayhaqî, [8] etc.

Par contre, les nouveaux partisans d’Aboû el-Hassan comme Aboû el-Ma`âlî el-Jouwaynî, et tant d’autres, ils ne reconnaissent que les « Attributs rationnels ». Certains d’entre eux renient carrément les « Attributs textuels » bien que d’autres à l’exemple de Râzî et d’el-Âmoudî ne se prononcent pas à leur sujet. Ceux qui renient les « Attributs textuels » ont deux comportements à leur encontre ; les uns ont recourt au Ta’wîl (interprétation des Textes), les autres ont recourt au Tafwîdh (l’incompréhension des Textes en disant que Seul Dieu en pénètrent le sens ndt.). Quant à el-Ach`arî et ses premiers adeptes, ils établissaient que toute interprétation entraînant implicitement de renier les Attributs, était considérée comme fausse. Ils ne se contentaient pas de dire qu’ils n’avaient pas accès à la compréhension des Textes, ils allèrent jusqu’à condamner les interprétations des « négateurs ».

Cette confusion qui régna entre les anciens et les nouveaux Ach`arites entraina comme nous l’avons évoqué précédemment, un penchant de plus en plus marqué vers l’I`tizâl qu’ils mélangèrent plus tard à la philosophie. Chaykh el-Islâm ibn Taymiya nous propose l’analyse suivante : « Certains Ach`arites ont emprunté le même chemin que les Mou`tazilites vis-à-vis des « Attributs textuels » ; la majorité d’entre eux ont eu la même attitude que leurs pères Mou`tazilites à l’encontre des textes provenant du Hadîth. Concernant les Attributs issus du coran, ils ont deux opinions à leur sujet : el-Ach`arî, el-Bâqallânî, et les anciens parmi eux les reconnaissent ; d’autres en reconnaissent certains mais d’un autre côté, ils se comportent envers eux à la façon des Jahmites. El-Ach`arî s’est abreuvé de la pensée de son beau-père el-Joubbâ’î ; le grand Chaykh des Mou`tazilites. L’inspiration de ce dernier dans le domaine du Kalâm est une vérité à laquelle souscrit ses partisans et d’autres à l’unanimité. Plus tard, el-Bâqallânî était plus à cheval vis-à-vis des Attributs issus du coran tout comme ibn Fawrk dans une moindre mesure après lui ; ce dernier en effet reconnaissait seulement une partie des textes du Coran sur le sujet.
Quant à el-Jouwaynî et tous ceux qui suivaient la même voie, ils ont penché vers la tendance Mou`tazilites. Aboû el-Ma`âlî en effet lisait beaucoup les écrits d’Aboû Hâchim el-Joubbâ’î, et il était peu versé par les annales scripturaires. Ces deux paramètres à la fois ont joué un grand rôle sur sa pensée [10]. À l’époque d’Aboû Bakr el-Bâqallânî (m. 403 h.), ce dernier pris les commandes de cette tendance qu’il a améliorée ; il lui a établi les prémices rationnelles auxquelles les textes doivent se soumettre. Il fit de ses règles des principes dans la continuité des crédos de la foi, dans le sens où il incombe à chacun d’y adhérer [11]. Il a contribué dans une large mesure à rapprocher la tendance Ach`arite des enseignements du Kalâm et à la réglementer selon ses règles. Ces initiatives ont eu pour conséquence qu’il exista une ressemblance énorme entre l’Ach`arisme et le Mou`tazilisme. Si el-Ach`arî donnait la priorité aux textes sur la raison, il n’en fut pas le cas pour el-Bâqallânî, qui considérait que toutes les questions liés à la croyance devaient être soumises à la raison [12]. Ainsi, el-Bâqallânî est considéré comme le deuxième fondateur de l’Ach`arisme. [13]

Il y a eu ensuite, Imam el-Haramayn el-Jouwaynî (m. 378 h.) qui a utilisé les outils de la logique (grecque) pour soutenir cette croyance. Il s’est cependant opposé à el-Bâqallânî sur de nombreuses règles qu’il avait établies. Bien qu’el-Jouwaynî a plus profité de son bagage du Kalâm que des paroles d’el-Bâqallânî, il n’en demeure pas moins qu’il a mélangé son Ach`arisme avec certains aspects du Mou`tazilisme, en s’inspirant des ouvrages du Mou`tazilites Aboû Hâchim el-Joubbâ’î. Il est ainsi sorti du giron du Qâdî et compagnie dans plusieurs questions, pour conforter son inspiration Mou`tazilite. Il ne s’inspire même pas des écrits d’Aboû el-Hassan el-Ach`arî, il se contente de rapporter ses paroles par intermédiaire [14]. À l’image d’el-Ghazâlî (m. 505 h.), et d’ibn el-Khatîb Râzî (m. 606), Les néo-Ach`arites se sont reposés sur la méthode d’el-Jouwaynî. Cependant, ils ont ajouté à cette influence Mou`tazilite dont el-Jouwaynî est l’instigateur, l’influence de la philosophie. Ainsi, l’Ach`arisme s’éloignait et s’égarait de plus en plus.

El-Ghazâlî a puisé ses enseignements du Kalâm dans les écrits de son maître el-Jouwaynî, el-Irchâd, Châmil, qui contiennent les enseignements d’el-Baqallânî. Il s’est inspiré dans ses enseignements philosophiques des écrits d’ibn Sînâ. C’est pourquoi, il est dit que l’ouvrage Chifâ (le remède) d’ibn Sînâ l’a rendu malade. Aboû Hâmid s’est inspiré également des lettres Ikhwâns Safâ et celles d’Aboû Hayyân Tawhîdî et autre. Quant à Râzî, il a puisé ses enseignements du Kalâm dans les écrits d’Aboû el-Ma`âlî et de Chahrstânî. Chahrstânî s’inspire lui-même d’el-Ansârî Nisâboûrî, qui s’inspire d’Aboû el-Ma`âlî. Il s’est fortement imprégné des enseignements Mou`tazilites par l’intermédiaire des œuvres d’Aboû el-Hussayn el-Basrî (m. 436 h.) [15]. Dans le domaine de la philosophie, il s’est inspiré d’ibn Sînâ, de Chahrstânî, et bien d’autres [16]. On retrouve leur Ach`arisme prépondérant, dans le fait qu’ils sont Mourjites (laxistes) concernant le statut des personnes et Jabarites (déterministes) dans le domaine du Destin. Dans le domaine des Attributs, ils ne sont pas de purs Jahmites bien qu’ils soient imprégnés par cette tendance. Ils ne légitiment pas non plus de se rebeller contre les autorités en place en se conformant ainsi aux traditionalistes. Dans l’ensemble, parmi les adeptes du Kalâm, ils sont relativement les plus proches de l’orthodoxie musulmane. »
[17]

Voir : introduction de la recension de Kitâb el `Arch (1/52-57) de l’Imâm Dhahabî (m. 746 h.) par le docteur Mouhammed ibn Khalîfa Tamîmî.

Notes de bas de page :

[1] Voir : Majmoû` el-Fatâwâ d’ibn Taymiya (5/386) et Tadhkira el-Huffâzh de l’Imam Dhahabî (2/907)
[2] À la base, le Hanbalisme est une école de Fiqh au même titre que le Hanafisme, le Châfi`sme, et le Mâlikite. Les fondateurs de ses quatre écoles suivent le même crédo. Après l’inquisition (Mihna) que les Khalifes Abbassides ont fait subir aux Traditionalistes, l’Imam Ahmed est devenu l’un des symboles du traditionalisme. De plus, à travers le temps, les partisans du Hanbalisme sont restés les plus fidèles à l’orthodoxie musulmane. C’est pourquoi, avec le temps, le Hanbalisme fut associé au traditionalisme. (Voir : L’introduction à la profession de foi d’ibn Batta d’Henri Laoust). (N. du T.)
[3] Les « Attributs textuels » correspondent pour les adeptes du Kalâm aux attributs dont la connaissance est exclusivement puisée dans les Textes, contrairement aux Attributs dits rationnels dans le sens où la raison les conçoit tout à fait. (N. du T.)
[4] Voir : Rad `ala man Ankara el-Harf wa Sawt (p. 168) et Mawqif ibn Taymiya min el-Achâ`ira (1/367)
[5] El-Istiqâma (1/212)
[6] Da-r Ta`ârud el-`Aql wa Naql (7/97)
[7] Idem
[8] Majmoû` el-Fatâwâ (4/147-148)
[9] Manhâj Sunna (2/223-224)
[10] Manhâj Sunna (2/223-224)
[11] El-Muqaddima d’ibn Khaldûn (p. 465)
[12] Voir : Muqaddima Tamhîd d’el-Baqallânî (p. 15), recension par el-Khudayrî et Aboû Rayda.
[13] Voir : Nash-a el-Achâ`ira wa Tatawwaruha (p. 320)
[14] Voir : Baghiya el-Mourtâd (348-351)
[15] Il ne faut pas confondre avec el-Hassan el-Basrî, l’un des Successeurs des Compagnons (Tâbi`în), qui compte parmi les traditionalistes (N. du T.)
[16] Voir : Baghiya el-Mourtâd (348)
[17] Majmoû` el-Fatâwâ (7/55)


Pour Islamhouse,
par Karim ZENTICI


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