Le soufisme

(1ère partie)


Que les Prières et les Salutations d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed ainsi que sur sa famille et tous ses Compagnons !

Si quelqu’un adhère au Tasawwuf au début du jour, il ne faudra pas attendre le soir avant qu’il est perdu la tête. (L’Imam Shâfi’î).


Le soufisme a vu le jour à l’époque d’el-Hassan el-Basrî et de Mohammed ibn Sîrîn qui s’opposèrent à ses premiers adeptes. Cependant, les premiers écrits soufis, furent composés, à ma connaissance, par el-Hârith ibn Asad el-Mahâssibî, l’adepte de Yazîd ibn Hâroûn, l’un des Successeurs des Successeurs des Compagnons, de la dernière génération de « l’âge d’or » des musulmans. El-Mahâssibî est le contemporain de l’Imam Ahmed et des grandes références « orthodoxes ». Il composa un ouvrage sur le soufisme que les traditionnalistes à l’image de l’Imam érudit Aboû Zur`a condamnèrent.

Le Hâfidh Dhahabî souligne à ce sujet : « L’érudit Sa`îd ibn `Amr el-Barda`î a dit : J’étais présent lorsqu’Aboû Zu`ra fut interrogé au sujet d’el-Hârith el-Mahâssibî et de ses ouvrages. Ce dernier répondit : « Méfie-toi de ses livres ! Ce sont des livres innovateurs et égarés. Attache-toi plutôt aux annales qui te contenteront amplement.
- Ces livres offrent certaines morales, lui fit-on remarquer !
- Les morales qui ne sont pas dans le Livre d’Allah, tu ne les trouveras pas dans ces livres. Vous a-t-on déjà rapporté que Soufiyân, Mâlik et el-Awzâ`î ont écrit sur les inspirations et les sensations de l’esprit (el-Khatarât wa el-Waswâs) ? Comment les gens se précipitent-ils aussi vite vers l’innovation ! »

El-Hârith est mort en quarante trois de l’Hégire, mais que valent les générations suivantes par rapport à lui, que dirait Aboû Zu`ra s’il avait lu el-Qawt d’Aboû Tâlib ! Que valent les nouveaux écrits par rapport à el-Qawt, que dirait-il s’il avait lu Bahjat el-Asrâr d’Aboû Jahdham et Haqâ’iq Tafsîr de Soulamî ! Il aurait certainement perdu la tête. Que dirait-il s’il avait lu Aboû Hâmid Toûssî (el-Ghazâlî) avec tous les Hadiths inventés que contient un livre comme el-Ihyâ ! Que dirait-il s’il avait lu el-Ghounya du Chaykh `Abd-el-Qâdir (el-Jilânî) ! Que dirait-il s’il avait lu Foussoûs el-Hikam et el-Foutouhât Makkiya ! Comme el-Hârith était le porte-parole de la secte à son époque, il avait pour contemporains mille Imam traditionnistes à l’instar d’Ahmed ibn Hanbal et d’ibn Râhawayh. Cependant, quand plus tard les références traditionalistes furent ibn Dakhmîsî et ibn Chouhâna, les chefs de file des initiés (ou les pôles de la connaissance) s’incarnaient en les personnes d’ibn `Arabî et d’ibn Sib`în. Qu’Allah nous accorde Son Pardon et Sa Clémence ! »
[1]

Ibn el-Jawzî affirme quant à lui, à travers les paroles d’Aboû Ya`qoûb Ishâq ibn Hayya, dont il rapporte la chaîne narrative : « J’ai entendu dire Ahmed ibn Hanbal qui fut interrogé au sujet des Khatarât et du Waswâs : « Les Compagnons n’en ont jamais parlé ni leurs Successeurs (Tâbi`oûn). Nous avons rapporté ce genre de chose au début de notre ouvrage, de la part de Dhoû Noûn. » Nous avons rapporté également qu’Ahmed ibn Hanbal a déclaré à l’un de ses amis, après avoir entendu certaines paroles d’el-Hârith el-Mahâssibî : « Tu ne dois pas selon moi t’asseoir avec ces gens-là. » »

Ibn el-Jawzî poursuit : « El-Khallâl relate dans son recueil Sounna qu’Ahmed ibn Hanbal a dit : « Mettez fermement en garde contre el-Hârith. El-Hârith est à la tête de tous les problèmes (liés à l’affaire de Jahm ibn Safwân). Il a réussi en effet à faire adhérer untel et untel au discours de Jahm. Il reste un refuge pour les adeptes du Kalâm. El-Hârith est comme un lion à l’affut de sa victime. » » [2]

Dans un autre passage, ibn el-Jawzî s’attaque à Aboû Na`îm pour avoir osé compter les Compagnons au nombre des soufis. Il souligne en effet : « Ensuite, il y a eu Aboû Na`îm el-Asbahânî qui leur a consacré son livre el-Houliya. Dans ses pages, il attribue aux soufis des choses complètement intolérables. Sans la moindre gêne, il compte dans leurs rangs, certains élites des Compagnons tels qu’Aboû Bakr, `Oumar, `Outhmân, et `Alî. Il leur impute des annales invraisemblables. Il recense notamment dans leurs rangs, el-Qâdhî Chourayh, el-Hassan el-Basrî, Soufyân Thawrî, et Ahmed ibn Hanbal. Dans son encyclopédie Tabaqât Soufiya, Soulamî compte parmi eux el-Foudayl ibn `Iyâd, Ibrâhîm ibn Adham, et Ma`roûf el-Karkhî, sous prétexte qu’ils étaient des ascètes. Or, le soufisme est une tendance bien connue dont les pratiques vont au-delà de l’ascétisme. La preuve qu’il n’y a aucune comparaison à faire, c’est qu’aucun savant ne condamne l’ascétisme contrairement au soufisme comme nous allons le voir. » [3]

Après avoir donné sa propre définition du soufisme, ibn el-Jawzî parcourt les siècles de son analyse pour nous faire la présentation suivante de ses ouvrages [4] : « La première génération soufie qui n’ont pas échappées aux ruses d’Iblis sur certains points, s’en tenaient à ces principes. Par la suite, sa ruse s’est abattue sur leurs héritiers et de siècle en siècle, il est devenu de plus en plus gourmant à tel point que les dernières générations sombrèrent complètement sous son emprise. Sa première ruse à leur encontre fut de les éloigner du savoir, en leur faisant miroiter que l’important, c’est de mettre en pratique. Quand la flamme du savoir s’est éteinte en eux à la deuxième génération, ils se sont égarés dans les ténèbres. Certains d’entre eux pensaient qu’il fallait entièrement renoncer à la vie mondaine. Ils se détournèrent alors de tout ce qui pouvait assurer leur quotidien et comparèrent même l’argent au scorpion. Ils oublièrent ainsi qu’il fut créé dans leur intérêt.

Ils devinrent très exigeants envers eux-mêmes ; certains allèrent jusqu’à renoncer à s’allonger. Si leurs intentions étaient bonnes, ils n’en étaient pas moins éloignés du bon chemin. L’un d’entre eux accusait un tel manque de connaissance, qu’il mettait en pratique sans s’en rendre compte, tous les Hadiths inventés qui lui tombaient sous la main.

Le discours de certaines tendances se concentra plus tard sur des thèmes comme la faim, la pauvreté, le Waswâs, et l’inspiration. Certains auteurs à l’image d’el-Hârith el-Mahâssibî, ont couché ces différentes expériences par écrit. Des auteurs ont par la suite fignolé (arranger) la tendance Soufie. Ils mirent en avant les caractéristiques dont ses adeptes devaient se distinguer ; il y avait le haillon, les chants, l’extase, la danse au rythme des claquements de mains. Ils devaient également se distinguer par la propreté et la purification. Avec le temps, leur égarement pris de l’ampleur. Leurs Chouyoukh, instituaient les codes et faisaient part de leurs expériences. Ils s’accordaient tous à fuir les savants et ils se faisaient la même idée du savoir. Ils donnèrent le nom à leur expérience de « science ésotérique » (intérieure, occulte, cachée) et à la Loi divine celui de « science exotérique » (vulgaire, extérieure, apparente). La faim a provoqué chez certains d’entre eux des hallucinations. Ils prétendirent avoir connu l’amour passion avec le Créateur, dans le sens où ils se sont représentés un être de belle apparence qui exerçait sur eux une attirance physique. Leur discours varie ainsi entre l’hérésie (innovation) et l’apostasie (mécréance). Puis, le soufisme s’est divisé en plusieurs branches qui corrompirent pour chacune d’entre elles, la croyance de leurs adeptes. Les uns adhéraient au dogme de l’incarnation (Houloûl) et les autres à celui du panthéisme ou du monisme (Ittihâd).

Iblis s’acharnait ainsi à les faire sombrer dans toutes sortes d’innovations qui entrèrent dans l’usage. Dès lors, Aboû `Abd-Rahmân Soulamî composa à leur attention son livre Sounan et compila Haqâ’iq Tafsîr dans lequel il recense leurs exégèses du Coran les plus invraisemblables, à travers leurs expériences personnelles. Il omettait toutefois d’évoquer toute chaîne narrative, qui constitue pourtant l’un des fondements essentiels du savoir. Ils pouvaient ainsi donner au Coran les interprétations qui allaient dans leur sens. Force est de constater qu’ils sont très scrupuleux dans le choix de leur nourriture mais qu’ils le sont beaucoup moins quand il s’agit du Coran ! »


L’auteur démontre ensuite avec preuve à l’appui qu’Aboû `Abd-Rahmân Soulamî n’a aucune crédibilité aux yeux des savants. Puis, il poursuit son analyse en disant : « Aboû Nasr Sarrâj composa par la suite un livre qu’il intitula Louma` Soûfiya, et dans lequel il évoque certains dogmes et certains discours insoutenables… Aboû Tâlib Makkî écrivit Qawt el-Qouloûb dans lequel il recense des Hadith complètement faux et des annales qui ne se rapportent à aucun fondement, dans des sujets tels que certaines prières du jour ou de la nuit. Il fait souvent précédé ces textes de la formule : « un certain mystique a dit : ». Or, cette formule n’a aucun sens ! Il évoque entre autre dans cet ouvrage que le Très-Haut se dévoile sur terre à Ses élus.
D’après el-Khatîb, avec sa chaîne narrative, Aboû Tâlib se rendit à Bassora après la mort d’Aboû el-Hussayn ibn Sâlim. Il adhéra à sa tendance et se rendit à Bagdad où une assemblée se rassembla autour de lui à l’occasion d’un sermon dans lequel il divagua en déclarant notamment : « Rien n’est plus nuisible à la création que le créateur ! ».

`Abd-el-Karîm ibn Hawâzin el-Quchayrî est l’auteur de Kitâb Rissâla dans lequel il se lance dans des aberrations sur l’extinction soufie (el-Fanâ wa el-Baqâ), la résignation absolue (el-Qabd wa el-Bast), le temps, l’état, l’extase, l’existence, le recueillement (el-Jam` wa Tafriqa), l’état d’éveil et d’enivrement, la gustation et l’assouvissement, l’effacement (el-Mahw wa el-Ithbât), le dévoilement, les différentes manifestations divines (el-Muhâdara wa el-Mukâshafa/Lawâ’ih wa Tawâli`), l’étincellement, la formation et l’affermissement des éléments (Takwîn wa Tamkîn), la loi du commun et la réalité soufie (Charî`a wa el-Haqîqa), etc. Sans compter que l’explication qu’il donne à ses aberrations est encore plus incroyable. Plus tard, Mohammed ibn Dhâhir el-Maqdassi a écrit Safwat Tassawwuf dans lequel il évoque des choses qu’un homme sensé aurait honte d’évoquer…

Par la suite, Aboû Hâmid el-Ghazâlî composa el-Ihiya à la manière des soufis. Ce livre est truffé de Hadiths inventés mais son auteur ignorait qu’il en était ainsi. Il traite notamment de la Moukâchafa sans respecter les principes du Fiqh traditionnel. Il assume entre autre que le soleil, la lune et les étoiles dont l’histoire Ibrâhîm (r) fait mention, représentent des lumières qui en fait sont le voile du Très-Haut ; il n’y est donc pas question, un peu à la manière Bâtinite (ésotérique), des astres auxquels on pense au premier abord.

Dans son autre livre el-Moufassih bi el-Ahwâl, il avance que les Soufis sont capables à l’état d’éveil, de contempler les anges et les âmes des prophètes. Ils sont même capables d’entendre leurs voix et de prendre d’eux certains enseignements. A une étape supérieure, ils passent de la contemplation des formes extérieures à un autre univers que les simples paroles ne peuvent décrire. »


Plus loin, ibn el-Jawzî en arrive à la conclusion suivante : « La raison ayant poussée tous ces auteurs à traiter de ces différentes choses, c’est qu’ils maitrisaient très mal les sciences de la religion, de la Tradition et des annales en général. Ils se sont alors orientés vers la voie soufie en se faisant une bonne opinion d’elle…

La plupart de ces ouvrages ne se rapportent à aucun fondement. Ils se fondent cependant sur des expériences personnelles qu’ils se transmettent les uns les autres, qu’ils compilent dans leurs écrits, et qu’ils désignent par les « sciences occultes ».
[5]

D’après Aboû `Abd-Rahmân Soulamî, avec une chaîne narrative qui remonte à ibn el-Jawzî, Dhoû Noûn est le premier dans son pays à classifier les différents « états » soufis. `Abd-Allah ibn `Abd-el-Hakam, alors gouverneur d’Egypte et adepte de la tendance de Mâlik condamna son discours. Les savants d’Egypte l’ont exclu. Soulamî a dit : Aboû Soulaymân Dârânî fut expulsé de Damas. Ses habitants dirent qu’il prétendait voir et parler aux anges. Un groupe de personnes témoigna qu’Ahmed ibn Abî el-Hawârî préférait les walis (saints ou élus) aux prophètes. Il dut s’enfuir de Damas et se réfugier à la Mecque. Les habitants de Boustâm condamnèrent certaines paroles d’Aboû Yazîd el-Boustâmî. Parmi les énormités qui furent inscrites contre lui, il dévoila un jour à el-Houssayn ibn `Issâ : « J’ai vécu la même ascension que le Prophète ». il fut alors expulsé de la ville…

Selon un homme, Sahl ibn `Abd-Allah Toustourî affirmait que les anges, les démons et les djinns se présentaient à lui et qu’il leur parlait. Le commun des gens le condamna et de graves accusations lui furent imputées. Il s’enfuit à Bassora où il mourut. Soulamî a dit : Ahmed critiqua el-Hârith el-Mahâssibî à propos de certaines de ses paroles concernant notamment les Attributs divins. Ahmed ibn Hanbal l’a alors exclu et il dut se cacher jusqu’à sa mort.

Notes de bas de page :

[1] Mîzân el-I`tidâl fî Naqd Rijâl (2/166).
[2] Talbîs Iblîs (p. 151).
[3] Talbîs Iblîs (p. 148).
[4] Voici la définition qu’il en donne : « Selon eux, le Tassawwouf consiste à faire de la gymnastique spirituelle, à lutter contre ses instincts les plus vils afin de les porter vers les sommets de la vertu qui engendre les éloges sur terre et la récompense dans l’au-delà. » (N. du T.)
[5] Idem. (p. 148-150).
[6] Idem. (p. 150-151).
Par Karim ZENTICI

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